Gestion de la pêche traditionnelle – Une nouvelle approche
- 11 janvier 2021
- Category: Actualités, Articles
Une version de cet article a été initialement publié en anglais dans le magazine INFOFISH International, numéro 3/2020 (mai/juin 2020) INFOFISH International, Issue 3/2020 (May/June 2020).
Repenser la gestion des flottes de pêche artisanale
Le monde connait une prise de conscience croissante en ce qui concerne les ressources marines. Ces dernières sont limitées et la pêche doit adopter des pratiques durables si elle veut perdurer sur le long terme.
On estime que la pêche traditionnelle représente plus de la moitié des prises mondiales et concerne 95 % des pêcheurs dans le monde. Il devient urgent de les inclure d’en tenir compte dans la gestion des pêches, afin de mieux connaitre les 3 principales informations suivantes : espèces, quantités et lieux de pêche.
En outre, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a déclaré son intention de travailler avec les autorités concernées pour mettre fin à la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INN) d’ici 2030. Or, la pêche traditionnelle représente la grande majorité des prises non réglementées.
Mais pour de nombreuses raisons, les approches actuellement utilisées pour réglementer la pêche industrielle ne pourront pas être appliquées à la pêche artisanale.
Obstacles économiques
Le suivi et la gestion de la pêche industrielle ont été rendus possibles car ils sont financés par les amendes infligées aux contrevenants et par la vente de permis et de licences. Peu de pêcheurs traditionnels peuvent s’offrir ce genre de technologie de suivi ou les mêmes permis. Le financement des systèmes permettant de les surveiller doit donc être différent et la solution technique utilisée moins onéreuse.
Un changement d’échelle
Il semble peu réaliste de suivre tous les petits pêcheurs individuellement pour leur imposer les mêmes pratiques de gestion. Les moyens nécessaires pour appliquer les méthodes en vigueur pour la pêche industrielle aux 50 millions de pêcheurs artisanaux seraient bien trop importants.
Dans la plupart des cas, l’État pavillon devra passer du suivi de quelques milliers de navires à des dizaines voire des centaines de milliers, et avec toutes les informations les concernant. Cela générera un très important volume de données, dépassant de loin les capacités des solutions actuellement utilisées. S’adapter à la pêche artisanale ne signifie pas seulement ajouter des navires supplémentaires ; nous devons reconcevoir les logiciels de surveillance pour prédigérer toutes ces données afin de facilité la prise de décision.
Pêche traditionnelle
En outre, le travail quotidien de ces pêcheurs diffère considérablement du travail dans les pêcheries industrielles. Par exemple, ils peuvent être amenés à pêcher toutes les espèces qu’ils rencontrent, et ils utilisent des engins de pêche traditionnels. Ils pêchent souvent en groupe. Beaucoup ne sont pas pêcheurs à plein temps, ils sont également agriculteurs, élèvent du bétail ou exercent d’autres activités en dehors de la saison de pêche. Ils n’ont pas nécessairement d’investissements coûteux à amortir, de sorte qu’ils envisagent leur activité de pêche différemment. Si nous nous contentons de reproduire le modèle industriel, en réglementant par exemple la taille des mailles du filet ou les quotas basés sur une liste limitée d’espèces, cela risque de s’avérer difficile
Une nouvelle approche est nécessaire
Il y a des avantages évidents à améliorer le contrôle de la pêche traditionnelle, mais l’approche doit être collaborative. Les pêcheurs doivent être impliqués dans le développement de ces programmes, en les invitant à contribuer dès le début, avant même leur mise en œuvre. Non seulement cela permet de s’assurer que le système prend en compte leurs attentes, mais ils peuvent ainsi mieux en voir les avantages. Cette approche permet de les encourager à adopter de nouvelles pratiques et d’assurer un plus grand engagement de la part des acteurs impliqués.
Un modèle économique différent
Nous devons également réfléchir à de nouvelles solutions de financement. Les dernières avancées technologiques ont permis de mettre au point de nouveaux émetteurs plus abordables et mieux adaptés aux besoins des pêcheurs artisanaux. Mais qui peut les financer ? Dans certains cas, une ONG ou une agence de développement peut intervenir pour mettre en œuvre de tels projets. C’est une bonne première étape, mais cela soulève la question du financement sur le long terme : comment garantir la pérennisation du système au-delà du financement initial ?
Dans différents pays, nous avons rencontré des associations de pêcheurs qui jouent un rôle important, payant les balises pour leurs membres. Dans une des régions du Pérou, un syndicat de pêcheurs souhaite mettre en place un label de qualité qui augmentera la valeur des prises ; pour le pêcheur ayant des revenus plus élevés, le coût du système de contrôle permettant d’apporter la traçabilité attendue, ne sera plus un obstacle.
Comment gérer ce changement d’échelle ?
En ce qui concerne les infrastructures informatiques, la dernière décennie a vu de grands progrès dans la capacité à gérer les « Big Data ». Cela permet de relever le défi du volume de données important généré par le suivi de la petite pêche, données qui doivent être traitées, stockées et analysées en vue d’extraire des indicateurs pertinents pour les décideurs.
En outre, la problématique d’échelle peut être résolue en travaillant au niveau local plutôt que national. L’implication des acteurs locaux (administrations, ONGs, associations de pêcheurs) est essentielle. Par exemple, dans plusieurs pays où ces pêcheurs sont très nombreux, comme le Vietnam et l’Indonésie, l’enregistrement et l’identification de ces navires sont confiés aux autorités locales.
Prise en compte des avantages
Considérer les préoccupations des préoccupations des pêcheurs devrait permettre de garantir leur adhésion. Par exemple, dans beaucoup de communautés de pêche traditionnelle, il y a eu des pertes de vies en mer. Une solution permettant d’améliorer la sécurité du pêcheur sera bien accueillie, d’autant plus que beaucoup doivent pêcher de plus en plus loin des côtes, hors de portée des réseaux cellulaires et autres moyens de communication terrestres.
Par ailleurs, les consommateurs exigent désormais d’en savoir plus sur la chaîne d’approvisionnement, et la traçabilité des aliments qu’ils consomment. Même un petit pêcheur peut par exemple être amené à fournir à l’hôtel qu’il approvisionne les informations concernant ses prises et, plus important encore, montrer que l’activité de pêche est effectuée d’une manière durable. C’est un argument supplémentaire pour que les pêcheurs adoptent ces nouvelles technologies de suivi.
Le projet Européen STARFISH 4.0 est un exemple de cette approche mise en pratique. Il teste une nouvelle technologie VMS pour les petits pêcheurs qui sera développée et améliorée grâce à leurs retours. L’Europe a choisi ce projet précisément parce qu’il est participatif et qu’il permet de créer une culture de compréhension et de respect des règles chez les pêcheurs traditionnels avant la mise en œuvre d’une nouvelle réglementation. Les communautés de pêcheurs, CLS et les partenaires locaux travaillent tous ensemble pour développer un système qui apporte de la valeur pour les pêcheurs. En effet, il favorise leur engagement, en établissant des relations positives et bénéfiques avant même qu’une réglementation n’entre en vigueur.
Partout dans le monde, les gouvernements, les régulateurs et les ONG réfléchissent aux meilleurs moyens de suivre et de gérer efficacement la pêche traditionnelle. Elle est extrêmement diverse et concerne un nombre important de navires et de personnes ; l’approche adoptée pour les grandes pêcheries industrielles ne peut pas fonctionner. Une nouvelle approche participative ainsi que de nouvelles technologies sont nécessaires, pour que les pêcheurs et les administrateurs aboutissent ensemble à une gestion durable de la pêche.