Le big data, l’avenir de la pêche durable
- 9 décembre 2019
- Category: Actualités, Articles
À l’échelle de la planète, la pêche en mer nourrit des milliards de personnes et génère 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel et près de 260 millions d’emplois. Or, cette activité est de plus en plus confrontée à la surpêche, à la pollution et à la disparition des habitats. La gestion durable des ressources marines est une urgence absolue et pose un défi de taille : l’exploitation des données.
Chaque jour, de nouvelles technologies pour les navires industriels arrivent sur le marché : sondes de carburant, capteurs pour engins de pêche, caméras embarquées, rapports de captures électroniques… qui s’ajoutent aux systèmes existants de surveillance de navires par satellites VMS. Il n’est donc pas toujours évident de choisir le meilleur équipement pour ses besoins ni de savoir comment optimiser les données qu’il produit.
À cela s’ajoute une volonté croissante, partout sur la planète, de surveiller les navires de pêche artisanale. Ainsi, au cours des prochaines années, les centres de surveillance des pêches devront s’organiser pour suivre non plus quelques centaines, mais plusieurs dizaines de milliers de bateaux. Conjuguée à la multiplication des équipements à bord des flottes industrielles, cette surveillance accrue entraînera la production d’une quantité massive de données.
L’avenir de la pêche
Décrypter toutes ces informations nécessite de pouvoir correctement les analyser et les corréler. Or, l’exploitation des données, pourtant précieuses, est le parent pauvre du secteur comparé aux équipements high-tech. L’avenir des pêches passe inévitablement par l’analyse des big data (mégadonnées).
Cette évolution majeure ouvre la voie à une gestion des pêches repensée. Les sorties en mer pourraient ainsi être programmées de façon à atteindre les quotas dans le délai le plus court possible, pour réduire la consommation de carburant et les coûts de main-d’œuvre. Grâce aux données de captures en temps réel, les autorités pourraient décréter la fermeture d’une zone de pêche dès que le quota est atteint, et non plus des semaines plus tard, après une analyse fastidieuse par leurs agents des journaux de bord papier. Les ministères des Pêches peuvent agir rapidement pour préserver les aires marines protégées (AMP) et leurs ressources marines.
Principaux obstacles à surmonter
L’exploitation efficace des données ne se limite pas à l’installation de logiciels. Pour les big data, il faut tenir compte des cinq « V » : vitesse, variété, volume, véracité et valeur. Pour que les informations soient utiles, il faut pouvoir gérer la vitesse du traitement, la grande variété des types de données, un volume massif de données, l’exactitude des données et la valeur réelle des données par rapport aux résultats escomptés.
Comme une grande partie des données sur les pêches est encore enregistrée en documents papier ou en fichiers Excel, elles risquent donc d’être perdues, incomplètes, inexactes ou difficilement exploitables. Face à de multiples feuilles de calcul, le gestionnaire de flotte aura du mal à dégager les éléments nécessaires à une prise de décision éclairée.
Enfin, l’analyse des big data nécessitera peut-être un changement de paradigme chez les pêcheurs. Traditionnellement peu enclins à partager leurs informations, ils protègent en effet leur savoir-faire et leurs zones de pêche, qu’ils voient comme un avantage concurrentiel, surtout dans un marché de concurrence féroce. La sécurité des données est également un enjeu pour les États du pavillon qui veulent protéger leurs ressources et la souveraineté de leur zone économique exclusive (ZEE). La solution passe sans doute par le choix d’un prestataire fiable qui garantit la sécurité des données et assure que les clients en restent propriétaires.
Big data et pêche dans la pratique
En 2018, CLS s’est associé à un client afin de développer une plateforme d’informatique décisionnelle (DOLFIN). Pour ce projet, le client, un géant nord-américain des pêches, a mis à disposition une abondance de données générées par sa flotte, qui transportent chaque année plus de 100 000 tonnes d’albacore (thon à nageoires jaunes).
Il a fallu d’abord définir le besoin principal du client, à savoir un tableau de bord intuitif fournissant des informations précises, puis déterminer quelles données permettraient d’obtenir ce résultat. Nous avons vite constaté qu’au-delà des données concernant le navire, les captures, le système VMS, les journaux de bord et les capteurs, il fallait également intégrer des données océanographiques. Pour traiter cette quantité énorme de données, nous avons eu recours à des techniques d’exploration des données (data mining) et réussi à cerner les corrélations les plus significatives.
Le tableau de bord permet aux experts en halieutique d’effectuer des recherches par zone, par type d’espèce, par navire ou par période. DOLFIN explore les données cumulées depuis 20 ans sur les océans et la pêche pour aider les professionnels à affiner leurs stratégies de gestion de flotte. Avant même de quitter le port, les capitaines peuvent ainsi choisir la zone la plus propice pour atteindre leurs quotas dans les meilleurs délais et optimiser chaque sortie. Les autorités de pêche peuvent surveiller les captures d’une région entière et décider des zones à fermer, améliorant ainsi la gestion des ressources et l’octroi des permis de pêche. DOLFIN peut également analyser le comportement du navire pour une gestion et une répartition plus juste des subventions carburant accordées par certains gouvernements.
L’exploitation des big data et leur analyse avancée représentent une filière d’avenir pour le pêcheur comme pour le régulateur. Grâce à ces nouvelles techniques, ils pourront capitaliser sur les données dont ils disposent et en faire un véritable atout. Les données sur les pêches sont un enjeu majeur pour réussir le virage vers une « économie bleue » plus durable, mais aussi vers l’économie de la connaissance. Ne pas tenir compte de cette richesse fera perdre en efficacité et en ressources. Adopter aujourd’hui l’analyse de données avancée, c’est garantir demain la gestion durable de la pêche.
Cet article a été initialement publié en langue anglaise dans la revue Sea Technology.
Luis DIAZ, Responsable du développement des affaires, CLS Fisheries
Titulaire d’une maîtrise en ingénierie et en commerce international, Luis conseille les ministères de la pêche, les commissions régionales et les propriétaires de flottes de pêche sur la gestion durable des pêches. Sa passion est d’apporter aux pêcheries les dernières innovations en matière d’analyse de données et il a travaillé en étroite collaboration avec ses clients pour développer DOLFIN, un nouveau service d’exploration de données pour les propriétaires de flottes, et un système de surveillance électronique pour les administrations des pêches utilisant l’intelligence artificielle.